Sur le comportement de l'Etat

L’Etat tout à la fois : à l’origine du régime ASV sur décision politique, responsable du non « pilotage » du régime, acteur majeur de sa déchéance « sciemment » organisée :



Le décret du 27 octobre 1972, après consultation de la profession, rend le régime ASV obligatoire avec réduction de la cotisation, payée aux 2/3 par les caisses, et, un doublement des allocations engageant les parties sur un revenu différé de 844 C (consultations conventionnelles) pour 35 années de carrière.



Ce revenu différé, dont le rendement initial a été qualifié par les services de l’Etat comme ayant un caractère « irréaliste, exorbitant, imprudent, car pratiqué à découvert », a bien été mis en place par l’Etat, certes avec l’accord des syndicats médicaux, mais pour des raisons essentiellement politiques, d’une part, pour inciter les médecins a adhérer à la convention nationale avec des honoraires opposables « .. si le corps médical n’y a pas intérêt, nous assisterons à des abandons de conventionnements ou à une diminution des adhésions et ainsi tout le système général de la sécurité sociale sera, à l’évidence remis en cause » (extrait du débat parlementaire du 4 juin 1970), d’autre part, pour assurer aux assurés sociaux un bon remboursement du fait d’honoraires encadrés.



Avec ce décret, l’Etat s’est mis dans la situation d’une part, d’augmenter les cotisations au niveau nécessaire pour l’équilibre du régime ou de diminuer la hauteur des charges qu’il avait lui-même validées, d’autre part, d’assurer les provisions pour faire face à l’augmentation des retraites.



L’Etat assurant seul le « pilotage » du régime, n’a jamais appelé les cotisations au niveau nécessaire entretenant ainsi artificiellement le rendement excessif originel, et de plus il a augmenté les charges pour l’avenir : augmentation de 25 % des allocations par le décret du 25 mars 1981, possibilité de rachats de points pendant deux ans, institution de la compensation entre les cinq régimes des professions de santé, majoration familiale de 10 % pour avoir élevé trois enfants, abaissement de l’âge de la réversion à 60 ans. Augmentation des charges sans en prévoir le financement.



Le rapport d’enquête d’août 1991 conjointement effectué par l’inspection des finances (IGF) et l’inspection des affaires sociales (IGAS) qualifie avec des termes très durs le pilotage du régime ASV par l’Etat :

« .. toutes ces décisions ont présenté un caractère éminemment tactique voire politique ».

« .. aucun impératif minimal de prudence n’a été respecté ».

« ..on peut dire, que depuis sa création le régime n’a jamais été piloté ».



Un tel comportement aboutit à des difficultés d’équilibre dès 1984. La CARMF demande en vain aux services de l’Etat de procéder au relèvement du taux des cotisations afin de garantir l’équilibre du régime et le paiement des allocations. Elle exerce également, en vain, des recours en Conseil d’Etat et se trouve obligée de puiser dans les réserves pour honorer les retraites, entrainant la dilapidation de 24 années de réserves.



En 1991, les réserves sont épuisées et le régime en quasi cessation de paiement. La CARMF menace de ne verser en fin d’année, que 55 % de la retraite ASV. Les allocataires interviennent alors auprès de Monsieur Jean Louis BIANCO, Ministre des affaires sociales lequel, décide, par lettre du 20 novembre 1991, de garantir la continuité du service des allocations du régime.



En 1994, à l’issue de nouveaux travaux la CARMF constate que les prévisions font apparaître un nouveau déficit de trésorerie et alerte les Pouvoirs Publics. Un groupe de travail présidé par l’IGAS et réunissant les autorités de tutelle, les syndicats médicaux, les caisses d’assurance maladie et la CARMF, est mis en place. Tous les participants admettent la nécessité d’apporter au régime ASV des aménagements pour les années à venir. Les conclusions de ce groupe de travail aboutissent au décret n° 94 564 du 6 juillet 1994 lequel, modifie le décret du 27 octobre 1972 et fixe de nouvelles modalités de calcul de la cotisation et de la retraite de ce régime à dater du 1erjanvier 1994. En ce qui concerne la retraite, la valeur du point est fixée à 15,24 € (100 F) et sera revalorisée, chaque année, dans les conditions prévues pour les pensions du régime général.



Ce décret, entraîne une transformation radicale du régime ASV, qui de régime à prestation définie (844 puis 1055 C) devient un régime à cotisation définie, par points, avec une valeur donnée au point. Il enlève, définitivement, aux médecins l’assurance d’un niveau de retraite précis, en laissant à l’Etat la possibilité de « jouer » sur la valeur du point et cela au mépris du contrat originel rendant l’ASV obligatoire.



Dans son article 3 ce décret a expressément reconnu que la valeur du point pouvait être différente, et dépendait de la période d’acquisition de ceux-ci, article prémonitoire et certainement prémédité quand on connaît la suite pour fixer la valeur du point.



En 1999, il est observé que de nouveaux ajustements s’imposent en raison de la dégradation du rapport démographique dans les années à venir. Pourtant à cette date, le rapport démographique est encore de 1 retraité pour 3 cotisants et permettait d’envisager une réforme dans de bonnes conditions. L’inertie pour ne pas dire « l’incurie » de l’Etat n’a pas su saisir cette opportunité. Le décret du 26 mars 1999 fixe la valeur du point à 15,55 € (102 F), en diminution de 3,9 % par rapport à celle de 1988.



Cette valeur du point à 15,55 € est « gelée » de 1999 à 2011. Malgré cela, les projections démographiques montrent que le régime sera en cessation de paiement en 2008.



En 2002, il est procédé à la consultation de tous les ressortissants de la CARMF afin de savoir s’ils souhaitent le maintien ou la fermeture du régime ASV. Sur 61297 votants, une majorité de 73,40 % se prononce en faveur de la fermeture du régime.



En 2003, le régime a bénéficié de la revalorisation de 14,09 % de la consultation, qui a augmenté le montant des cotisations et abaissé son taux de rendement.



Ces mesures ne suffisant pas à rétablir durablement l’équilibre financier du régime, la CARMF a officiellement proposé par lettre du 28 mai 2003, deux solutions alternatives au Ministre des affaires sociales :

« une solution de maintien du régime mixant de manière équitable tous les paramètres ».

« une solution de fermeture », fort du vote positif du conseil d’administration et de la consultation nationale.



En 2003, le gouvernement ayant enfin pris conscience de difficultés du régime ASV à partir de 2011 et souhaitant mettre en place une réforme, a chargé l’IGAS de lui fournir des pistes de réforme. Pour ce faire, il lui a demandé de tenir, avec toutes les parties concernées y compris les représentants des retraités, une table ronde. Cette dernière a eu lieu en octobre 2003 au Ministère des affaires sociales. Elle devait aboutir en fin d’année à l’envoi de recommandations au Gouvernement et d’un rapport aux participants. Si les recommandations au gouvernement ont bien été effectuées, le rapport aux participants n’est jamais parvenu, ces derniers apprenant les premières révélations par voie de presse ! A savoir :



« Pas de revalorisation du point pour les retraités



Augmentation de 36 % de la cotisation forfaitaire



Cotisation d’ajustement proportionnelle aux revenus conventionnels de 1,8 %



Baisse de la valeur du point de 66 % pour les points acquis avant 1992, de 30 % pour les points acquis e 1992 à2005, 50 % pour les points acquis à partir de 2006 ».



En septembre 2005, la Cour des Comptes, dans son rapport sur la sécurité sociale, fait une analyse sur la situation de l’ASV et sur la proposition de fermeture du régime. Si la Cour reconnaît qu’à échéance de trente ans la fermeture est moins coûteuse, elle reste beaucoup plus onéreuse pour l’assurance maladie à brève échéance, et de ce fait, la Cour se déclare non favorable à cette solution.



La loi du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2006 va servir de support législatif aux propositions de l’IGAS sur la réforme du régime ASV.



Applicable dès le 1er janvier 2006, faute de décrets d’application, la loi n’est pas entrée en vigueur, et les retraites liquidées à partir de cette date, l’ont été, au mépris de la loi promulguée, avec la valeur antérieure du point à 15,55 €. Cette situation va perdurer pendant six ans, jusqu’à la parution du décret du 25 novembre 2011 qui fait l’objet du recours en Conseil d’Etat, dégradant ainsi d’autant plus l’équilibre financier du régime.



En mars 2011, les syndicats médicaux (excepté la FMF), la CARMF, la Direction de la SS au Ministère, les caisses maladie, se réunissent pour faire une analyse de la situation du régime ASV et envisager les termes de la réforme nécessaire. Après plusieurs réunions, les syndicats médicaux et la CARMF unanimes soumettent au ministre des affaires sociales, par lettre en date du 5 juillet 2011 les mesures qu’ils souhaiteraient voir mettre en place à compter du 1er janvier 2012, mesures qui équilibrent le régime sur le long terme :





« un doublement de la cotisation, pour moitié forfaitaire et pour moitié proportionnelle aux revenus, avec la participation des caisses aux 2/3 comme par le passé, et attribution de 27 points. »



« une baisse de la valeur du point de 15 % en euros constants, s’ajoutant aux 25 % effectifs depuis dix ans. Ceci pour les retraites liquidées ou à liquider, sans distinction, dans un souci d’équité. »



« à cela s’ajoute des mesures permettant à tous de supporter cette réforme selon le mode d’exercice ou les revenus ».



« toutes ces mesures doivent être mises en œuvre sur 3 ans ».



« l’âge minimum de départ en retraite est porté de 60 à 62 ans, la retraite à taux plein reste pour le moment à 65 ans, éventuellement à revoir ultérieurement ».



Cet équilibre a fait l’objet d’un consensus total. Toute modification d’un paramètre romprait l’équilibre et surtout l’équité. Une note technique et les projections actuarielles montrant l’équilibre sur le long terme étaient joints.



Pour toute réponse du Ministère, en date du 21 septembre 2011, une proposition de scénario qui est en fait le décret déjà écrit, et dans lequel on ne reconnaît en rien les propositions faites conjointement par les syndicats et la CARMF. Une augmentation des cotisations avait été demandée afin que les retraites baissent peu, c’est l’inverse qui a été fait, cela, afin que les caisses d’assurance maladie aient moins à payer. Position incohérente car le scénario proposé octroi par ailleurs des points supplémentaires à la cotisation proportionnelle surchargeant un peu plus le régime, alors même que les syndicats et la CARMF dans un souci d’équilibre avaient demandé qu’aucun point ne soit attribué.



Sur les prestations, la valeur de service du point passerait de 15,55 à 14 € en 2015, soit une baisse de 10 % étalée sur 3 ans, ce que les retraités de la FARA avaient accepté dans un souci de partage des charges. En revanche, la revalorisation du point proposée à partir de 2015 est renvoyée aux calendes grecques, puisqu’elle ne serait appliquée qu’à compter de 2020 au plus tard, si l’équilibre financier le permet !! En définitive, il y a eu une simple consultation, mais certainement pas de négociation, ni de concertation comme le dit le ministère, car Il n’y a aucune « décision de concert » avec les représentants des retraités. Le décret a été « imposé », nous sommes en plein « arbitraire ».



En définitive :



Ce décret est le résultat d’un simulacre de démocratie. Il y a eu certes consultation puisque les médecins ont pu présenter un projet actuariel chiffré dans lequel tous les acteurs assuraient une part de la charge, projet qui équilibrait le régime sur le long terme, mais il n’y a jamais eu négociation, car le projet présenté n’a jamais été pris en compte, et, il n’y a pas eu quoiqu’en dise le gouvernement, de concertation, puisque la décision prise avec le décret du 25 novembre 2011 ne l’a pas été de concert avec les médecins et les retraités en particulier.





Docteur Louis CONVERT

Vice Président de la FARA